Compte-rendu du Café du 5 mai 2001-05-07
Au café le Henri IV à Reims,
entre les Halles et l'Hôtel de Ville
Les marchands parlent aux débiles ?
Francis Gillery, réalisateur de "Un cartable pour
Big Brother", film documentaire de télévision diffusé
voici un an environ, présente le cadre de son travail.
Le film traite de la concentration des maisons d’édition
qui tentent de s’implanter dans le système d’éducatif
par le biais de l’introduction des Nouvelles Technologies
de l’Information et de la Communication à l’Ecole.
On voit en effet se dessiner une stratégie européenne
voire mondiale de mise en place d’un système privatisé
d’enseignement, soutenu par de puissants lobbys financiers.
L’école est le dernier grand service public à résister
à ces puissances et elle est le lieu d’une formidable
concurrence.
Le débat s’engage ensuite.
Internet et démocratie
Internet est-il le « grand méchant loup », le complot
mondial, un danger pour la démocratie ?
Le web, la Toile posent un problème de transparence ;
en effet, si chacun adhère aux concepts tout à fait
acceptables que sont la formation tout au long de la vie,
la mobilité …, l’ensemble de ces concepts met en place
lentement un type de société qui ne satisfait pas
obligatoirement ceux qui ont pourtant cautionné chaque
étape de cette mise en place.
Quant à l’idée parfois répandue d’une démocratie plus
proche des citoyens, pensons au résultat d’un vote,
par le biais d’Internet, sur la peine de mort qui
aurait lieu après l’annonce d’un crime particulièrement
horrible…
Ce vote n’en serait pas un : il ne reflèterait qu’une
opinion ; l’exercice véritable de la démocratie ne
doit pas se confondre avec ce type de réaction à chaud
et demande le temps de la réflexion et l’examen
attentif des conséquences de la décision prise en
toute sérénité.
Internet et minitel
La France a l’expérience du minitel, projet français
d’ordre centralisateur, stoppé en 1980. Cette expérience
semble freiner l’extension d’Internet : pourquoi ?
C’est que le minitel était entièrement gratuit,
pas Internet : il est rappelé que 17% seulement des
foyers sont branchés; il s’est répandu grâce à la
messagerie rose que l’on retrouve, elle, sur Internet.
Le minitel a installé l’intercommunication en France
mais l’ordinateur amène l’interactivité en plus.
Mais y a-t-il rupture ou simplement évolution technique
entre les deux ?
Internet amènera-t-il une modification du rapport social
entre les hommes, par exemple ?
Une modification des structures intellectuelles ?
La technique va-t-elle interagir sur nos modes de pensées ?
Pour Joël de Rosnay, l’homme continue à muter avec le
web qui n’est qu’une nouvelle étape d’un long processus.
Internet et savoirs
La mise à disposition des connaissances du monde entier
peut sembler une chance pour les plus défavorisés qui
pourraient approfondir leurs connaissances, combler
leurs manques en dehors même de l’Ecole.
Le rapport au Savoir va changer, dit-on ;
les enseignants vont disparaître…
Plusieurs points sont débattus :
- La télévision scolaire, le minitel n’ont pas fait
disparaître les enseignants :
pourquoi Internet le ferait-il ?
- Pourquoi le mode de transmission des connaissances
n’évoluerait-il pas ?
- Comment se fera la socialisation si chacun reste
devant son ordinateur ?
- Qui apprendra aux utilisateurs à faire la différence
entre information et connaissance ?
- Les internautes ont-ils véritablement la possibilité
de vérifier la véracité des informations mises
à leur disposition ?
Internet et fascination
L’écran de l’ordinateur fonctionne comme l’écran de
télévision, disent les spécialistes qui travaillent sur
l’image : il exerce la même fascination sur celui
qui le regarde.
L’outil n’est pas encore dégagé de la « magie » et
conservera toujours la puissance de séduction attachée
à l’image. On a beau être averti, il est difficile
d’y échapper.
Internet et publicité
Cette force de persuasion a bien été comprise par les
publicitaires qui envahissent les échanges personnels
de messages à caractère publicitaire auxquels on ne peut
quelque fois pas échapper.
Que devient la liberté alors ?
Internet et manipulation
Les formes de manipulation sont diverses :
- Beaucoup d’informations sont fausses ou incomplètes
sur Internet :
elles ne sont garanties par aucune instance de
vérification.
- la fascination de l’écran permet aux « marchands »de
faire passer des messages purement mercantiles et de
placer des coockies qui espionnent les échanges de chacun
des utilisateurs.
- Ce qui arrive a été pensé ailleurs et l’astuce des
« comploteurs » est de dénoncer le complot :
le système se met en boucle ;
on dit tout et son contraire et l’usager est perdu.
Internet et formation
La formation continuée et individualisée à domicile tend
à fabriquer des individus atomisés, isolés,
interchangeables et mobiles à la demande.
L’ensemble des gens qui travaillent devient ainsi
malléable, chacun ne se souciant
que de son sort incertain.
L’expérience, pourtant, ne pourra pas se transmettre
par le web mais aura-t-on encore besoin d’elle ?
Internet vu par les plutôt pessimistes
Si nous n’y prenons pas garde, Internet peut être un
outil de main mise insidieuse par les « marchands » sur
nos libertés essentielles et notre manière de vivre
ensemble.
Les médias ne communiquent pas, n’apportent pas d’éléments
de réflexion à propos de ces dangers et nous avons donc
un devoir d’information.
La force de ce réseau mondial ne pourra être
contrebalancée que par une démocratie active.
Or, l’état de notre démocratie est inquiétant si on
regarde les pourcentages de vote.
Internet vu par les plutôt optimistes
Les discours pessimistes actuels ont déjà été tenus au
moment de l’apparition de l’imprimerie.
Biblos, « le livre », était à l’époque prévu pour répandre
la Bible et l’outil a échappé
à ses concepteurs. Pourquoi Internet ne ferait-il
pas de même :
cela ne dépend que de ses utilisateurs, de nous.
Internet vu comme outil
Pourquoi, même si Internet a été conçu pour installer
un pouvoir,
ne pourrions-nous l’utiliser pour un contre-pouvoir ?
N’aurons-nous pas l’Internet que nous méritons ?
Lucette Turbet
Texte recueilli par Olivier Boussard