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LA LIBERTE CONDUIT-ELLE A L'INDIVIDUALISME

Café de philo du 15 juin 2003 à Reims

La liberté conduit-elle à l’individualisme ?

Les révolutionnaires avaient mis en avant cette valeur, exprimant pour eux la libération après des siècles de servitude , induction des régimes de monarchie absolue. La déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 (qui sera intégrée dans la constitution de 1791) indique en son article 4 : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi. »
Et encore, article 11 : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. »
Ainsi donc, dans la pensée révolutionnaire, la liberté n’est pas aussi absolue que l’on pourrait croire, ni idéalisée (comme le pourraient faire croire les en-têtes de documents officiels d’alors portant : la liberté ou la mort !). Elle est délimitée par l’institution politique, mais au surplus elle porte une résonance morale : l’interdiction de nuire à l’autre. En d’autres termes nous retrouvons la formulation illustrative : ma liberté s’arrête là où commence celle des autres [de l’autrui], reprise même par Max Stirner.
En approfondissant cette définition, nous pouvons déjà délimiter la survenue de la liberté dans la société. Il n’existe pas de liberté absolue dès lors que l’on s’inscrit dans un schéma sociétal ; l’Unique qui jouirait d’une liberté indépendante ne se peut concevoir qu’en dehors de toute société, fondée sur la loi [le droit].
Mais si l’on se place dans un champ plus « philosophique », ne retrouve-t-on pas les revendications stirnériennes ? Il me semble que là encore, par l’affirmation du libre-arbitre de l’être humain, celui-ci est placé, dans ses actions et volitions, devant un choix personnel, qu’il assumera selon sa culture, son environnement, son désenchantement, ses espérances futures.
Il me paraît pertinent de parler de libertés - et donc de façon antonyme : d’interdits - dans nos sociétés occidentales.
Mais alors pourquoi évoquer l’individualisme, à propos de la liberté ? Dans notre société actuelle, qui déploie des milliers d’individus, nombrilistes et égoïstes, n’assiste-t-on pas à la revanche de Max Stirner et de tous ces anarchistes individualistes, qui prônent le Moi, le Je, le Moi Je, le Moi et les autres ?
Notre société, calquée en partie sur la société américaine, qui valorise de façon outrancière, l’individualisme, plus exactement l’individu, abandonnant l’autrui à la malchance, à l’irréussite, à la misère, au désespoir, dans la droite ligne du « struggle for life », apologie de la force individuelle et du mépris de l’altruisme, a réifié cette affirmation de l’individu, en distendant, avec divers moyens, les liens qui associent tous les membres d’une société. De plus, sous la pression d’un discours ultra-libéral, seront mis en avant, ceux et celles qui réussissent, mais encore ceux et celles qui établissent des distances infinies entre leur univers et le monde, j’allais dire extérieur. Pour simplifier nous dirons qu’à la dualité : sphère publique/sphère privée, se substitue peu à peu le distinguo : citoyen / individu. A telle enseigne qu’on peut valablement s’interroger sur l’avenir de l’intérêt général (qui n’est jamais la somme des intérêts particuliers), dans notre société actuelle, qui écarte de fait, des valeurs qui fondèrent et accompagnèrent la République, au long de son histoire : la solidarité, la fraternité, la tolérance active…
Deux mots encore : la sempiternelle phrase, ressortie à toutes les sauces : il est interdit d’interdire. En préambule, nous avons montré que la liberté était délimitée par un « bornage », c’est-à-dire que la liberté a des limites, celles que lui tracent l’interdi(c)t(ion). La récupération de cet aphorisme libertaire (?) par la société marchande illustre le pouvoir de l’argent sur les valeurs, sur le sens.
Communautarisme : ce générique effraie particulièrement dans le débat actuel. Pourquoi ? A l’origine, une communauté de biens et/ou de personnes, avec des références communes, des pratiques communes, se retrouvent tout au long de l’histoire - citons seulement les phalanstères fouriéristes. Et pourtant, aujourd’hui, ce générique groupal dérange. Ne serait-ce pas parce que les communautaristes revendiquent des libertés, au-delà du bornage classique ? Voilà une autre illustration de cette opposition : intérêt(s) particulier(s)/intérêt général, sans faire référence à l’aspect religieux, qui n’est pas secondaire, loin s’en faut. L’intérêt général tend à traduire ce qui s’adresse au plus grand nombre, voire à tous, dans un sens égalitaire. Le communautarisme revendique l’ensemble des intérêts particuliers qui le constituent. Rapportée à notre réflexion, on peut penser que la liberté pour tous ne rejoint pas la liberté de tous.
Francis Leroy, président du Cercle Condorcet.

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Texte recueilli par Olivier Boussard