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MEMOIRE DU DEVOIR

Ce sont ses patientes hystériques qui, en balisant le chemin de la vérité qui parle, ont enseigné à Freud le sens du devoir de mémoire. Cette vérité était si brûlante que nombre d’entre elles firent l’expérience de ses bûchers. Freud a accepté de faire taire les ruses de sa raison hégelienne pour entendre, dans le témoignage de ces femmes, un message essentiel. Cette vérité concernait le sujet lui-même, à l’endroit de sa souffrance, mais aussi la civilisation dans le principe de son lien.

Que quelque chose échappe à notre mémoire, que nos souvenirs ne soient pas exacts, que l’histoire relève de la fiction, tout cela n’a pas attendu la découverte de la psychanalyse. D’ailleurs, la notion d’inconscient comme insu, partie souterraine de l’être et de son histoire peut se lire dans la mythologie grecque. L’inconscient freudien est une structure langagière qui ne se conçoit que chez un être parlant Le langage est la condition de l’inconscient et celui-ci détermine nos actes. A la volonté et la pensée comme support de l’acte, Freud oppose un acte qui tienne sa vérité de la surprise et de la méprise : l’acte freudien, c’est l’acte manqué. Après Copernic et Darwin, Freud assène une troisième humiliation à l’être humain : nous ne sommes pas maîtres en notre demeure. La philosophie se perd dans la question de l’origine, à démêler qui de la perception ou de la conscience est première. Le langage organise la perception : il n’est qu’à examiner la question du témoignage pour s’en apercevoir. Dès lors, comment concevoir une exactitude des faits ? Seule la rigueur d’une équation rendra compte du phénomène réel. Mais l’histoire est-elle une affaire de réel ?

La clinique freudienne propose une solution à cet apparent dilemme. La mémoire s’organise selon la modalité de traitement du fait : refoulement, forclusion ou déni. Quand l’opération réussit, le sujet se passe fort bien de la vérité. Il s’en passe par un usage de la mémoire qui permette à cette vérité de se faire représenter de façon clandestine : c’est le souvenir-écran, véritable construction qui s’appuie sur des éléments factuels en y ajoutant, par des procédés de représentation que l’on retrouve dans l’écriture ou la peinture, des signifiants qui structurent la scène selon le discours de la vérité. C’est ainsi que la vérité a une structure de fiction. Freud utilisera, tout au long de son oeuvre, la création artistique ou littéraire comme confirmation de ses découvertes cliniques. La fiction est la manière dont la vérité peut se représenter au regard de la censure. Mais cette fiction se construit selon des règles précises de représentation. Ces règles sont les mêmes qu’utilisent les créateurs. L’accès à la vérité ne peut donc se faire que par un déchiffrage qui rétablisse les motifs que la censure aurait rejeté.

C’est la rencontre avec un élément du réel qui va mettre le sujet face au retour de sa vérité : c’est le symptôme mais aussi bien l’oubli, l’acte manqué ou le rêve. La science propose aujourd’hui de traiter ce symptôme - fut-il individuel ou collectif - comme un dérèglement que le sujet n’aurait pas le devoir de penser. Cela a des effets sur le malaise dans la civilisation.

Le devoir de mémoire est une obligation qui relève du champ de la morale individuelle ou collective. Cette morale échappe difficilement à la censure. D’où l’idée d’une mémoire du devoir : considérer que chacun possède dans l’usage freudien de sa mémoire, un accès à la vérité subjective - c’est à dire celle de son désir inconscient -qui lui donne une idée de ce qu’est un être humain et la manière de le considérer dans son histoire. Quand au collectif, Freud a démontré que son sujet n’est autre que celui de l’individuel d’où l’on peut en déduire qu’il obéit aux mêmes règles et peut donc relever du même traitement.

Christophe DELCOURT

C Delcourt exerce la profession de psychanalyste et psychiatre à Reims. Il est Membre de l'Ecole de la Cause freudienne (Ecole de Jacques Lacan) et enseignant à l'Antenne Clinique de Chauny-Prémontré. Il a la responsabilité médicale d'un Institut Médico-Educatif et d'un Centre d'aide par le travail.

 

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Texte recueilli par Olivier Boussard