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Vous avez dit égalité ?

 

Vous avez dit égalité ? * AUTEUR : Ignacio Ramonet

Des trois principes qui fondent la République : liberté, égalité, fraternité, les deux derniers semblent à l’heure actuelle, singulièrement méprisés. Avec l’aggravation de la récession économique, les égoïsmes et les peurs se sont accentués, tandis que les naturelles solidarités et la justice sociale ont été peu à peu négligées. En Europe, la régression morale et le triomphe de l’individualisme, caractéristiques des années 80, se sont traduites par l’abandon de quelques-uns des desseins principaux du contrat social. L’Etat-Providence, au nom de l’ultralibéralisme, a été désigné comme l’ennemi à abattre, accusé d’encourager la paresse et le ramollissement général, et d’être un obstacle à l’épanouissement économique. […] Tout cela a favorisé le creusement des inégalités, l’apparition d’une société duale, à plusieurs vitesses, et l’avènement du temps des exclusions.
Les sociétés européennes dressent depuis quelque temps autour des groupes dominants de privilégiés des barrières successives au-delà desquelles demeurent reléguées toutes les détresses : la situation des sans-abri, la crise des banlieues-ghettos, la marginalisation des chômeurs de longue durée (un million en France), le basculement dans la pauvreté des ménages surendettés, la persistance de la misère dans certaines zones rurales, les travailleurs à emploi précaire (six millions en France), l’exacerbation des tensions ethniques et le rejet des réfugiés et des étrangers…
La mondialisation de l’économie, les délocalisations d’usines manufacturières, la révolution technologique et le dogme monétariste font désormais du chômage en Europe une donnée structurelle, et non accidentelle, de l’économie. L’objectif du plein emploi n’est qu’un vieux souvenir ne figurant même plus au programme des gouvernements européens. La pauvreté apparaît comme la résultante naturelle et admise d’une conception ultralibérale du développement économique. Une conception de type darwiniste qui considère le social comme déconnecté de l’économie.[…]
Comme au temps de la dépression des années trente, on a vu ressurgir la grande misère […] elle éclate au plein jour et prend des formes spectaculaires au cœur des villes, où les mendiants refont leur apparition ainsi que les sans-abris et autres sans-domicile-fixe. Ces nouveaux vagabonds, clochards fins de siècle, errants des temps modernes (NDLR qu’on peut voir à nos portes dans nos parcs et squares rémois), n’ont rien de pittoresques et font penser au destin pathétique et sinistre des héros de Jack London, John Steinbeck ou James Cain : « On dort dans les cabanes, dans les caisses à outils, dans des étables, ou dans des wagons de marchandises ; on pète de froid, on la saute, on est crasseux et on se débine le matin pour ne pas se faire foutre dehors (en dehors du loft ? NDLR) à coups de botte ».**

* Ignacio Ramonet (reprise partielle de l’article paru dans Manière de voir n° 20 Le temps des exclusions sous le titre Un crime social)

**James Cain, Coups de tête

 

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Texte recueilli par Olivier Boussard