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LE PARADOXE DE LA SOCIETE   (KANT)

Café de philo du 15 juin 2003 à Reims

Le paradoxe de la société

Le problème essentiel pour l'espèce humaine, celui que la nature contraint l'homme à résoudre, c'est la réalisation d'une Société civile administrant le droit de façon universelle. -Ce n'est que dans la société, et plus précisément dans celle où l'on trouve le maximum de liberté, par là même un antagonisme général entre les membres qui la composent, et où pourtant l'on rencontre aussi le maximum de détermination et de garantie pour les limites de cette liberté, afin qu'elle soit compatible avec celle d'autrui; ce n'est que dans une telle société, disons-nous, que la nature peut réaliser son dessein suprême, c'est-à-dire le plein épanouissement de toutes ses dispositions dans le cadre de l'humanité. Mais la nature exige aussi que l'humanité soit obligée de réaliser par ses propres ressources ce dessein, de même que toutes les autres fins de sa destination. Par conséquent une société dans laquelle la liberté soumise à des lois extérieures se trouvera liée au plus haut degré possible à une puissance irrésistible, c'est-à-dire une organisation civile d'une équité parfaite, doit être pour l'espèce humaine la tâche suprême de la nature. Car la nature, en ce qui concerne notre espèce, ne peut atteindre ses autres desseins qu'après avoir résolu et réalisé cette tâche. C'est la détresse qui force l'homme, d'ordinaire si épris d'une liberté sans bornes, à entrer dans un tel état de contrainte, et, à vrai dire, c'est la pire des détresses : à savoir, celle que les hommes s'infligent les uns aux autres, leurs inclinations ne leur permettant pas de subsister longtemps les uns à côté des autres dans l'état de liberté sans frein [ ... j Toute culture, tout art formant une parure à l'humanité, ainsi que l'ordre social le plus beau, sont les fruits de l'insociabilité, qui est forcée par elle-même de se discipliner, et d'épanouir de ce fait complètement, en s'imposant un tel artifice, les germes de la nature.

Ce problème est le plus difficile,- c'est aussi celui qui sera résolu en dernier par l'espèce humaine - La difficulté qui saute aux yeux dès que l'on conçoit la simple idée de cette tâche, la voici : l'homme est un animal qui, du moment où il vit parmi d'autres individus de son espèce, a besoin d'un maître. Car il abuse à coup sûr de sa liberté à l'égard de ses semblables ( ... ) Il lui faut un maître qui batte en brèche sa volonté particulière et le force à obéir à une volonté universellement valable, grâce à laquelle chacun puisse être libre.

Emmanuel Kant, Idée d'une histoire universelle, 1784.

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Texte recueilli par Olivier Boussard